L'autre jour en cours nous avons parlé de « langues » et de « dialectes ». Poursuivons...
Le fait de qualifier un ensemble de traits linguistiques de « langue » n’est pas très simple, et on se heurte à des considérations non seulement linguistiques, mais aussi politiques, identitaires, économiques, etc. Il existe aussi des « dialectes » (sans parler des « patois » et autres « parlers », etc.). Alors, comment distinguer concrètement entre « langue » et « dialecte » ? De prime abord, le problème paraît assez simple à résoudre : si deux personnes ne se comprennent pas, on affaire à des langues différentes, alors que si elles se comprennent, c’est qu’on a affaire à des dialectes différents. En effet, il existe sur le terrain ce qu’on appelle des « continuums dialectaux », c’est-à-dire des chaînes de variétés linguistiques qui traversent des zones où il y a intercompréhension entre voisins immédiats. Mais à partir de quel moment dans la chaîne peut-on dire qu’on a changé de langue ?
On a souvent l’habitude (quand on n’est pas linguiste) de penser qu’une frontière administrative correspond à un changement linguistique. Ce problème vient, entre autres, du fait que l’on prend souvent comme repère la variété standard de chaque pays en question, oubliant le passage progressif d’une langue à l’autre sur le terrain (sans parler du fait que les frontières administratives peuvent changer, ignorant la réalité linguistique sur le terrain ; et sans parler du fait que les langues s’exportent au-delà des frontières établies). D’ailleurs, on fait souvent le rapprochement entre les langues et les nations (surtout dans le contexte européen, où les noms des pays et des langues qui s’y parlent historiquement sont souvent les mêmes) : par exemple, si je dis « où se parle la langue X ? » on risque de me donner comme réponse un nom de pays. Mais il suffit de creuser un peu pour voir que cette démarche ne peut s’appliquer dans tous les cas.
D’un point de vue linguistique, une langue n’est finalement qu’un dialecte parmi d’autres, ou mieux encore un ensemble regroupant plusieurs dialectes proches. Mais, d’un point de vue disons « sociohistorique » on peut dire qu’une langue c’est un dialecte qui a réussi à s’imposer (voir l’excellent livre de R. A. Lodge racontant l’histoire du français : Le français : histoire d’un dialecte devenu langue). D’un point de vue fonctionnel, on pourrait dire qu’une langue n’est autre qu’une norme qui s’est superposée sur une société dont la façon de parler d’origine était plus diversifiée, individualisée. Ainsi la langue réunit tous les locuteurs de dialectes différents et donne un moyen de communication égal et uni : de l’extérieur, la langue est souvent vue comme un ensemble homogène. Dernièrement, d’un point de vue génétique, on peut parler de deux langues différentes lorsqu’on a affaire à deux systèmes qui sont suffisamment différents sur le plan génétique : l’espagnol et le basque, par exemple, ou bien bon nombre de langues dans le contexte de l’immigration.
Mais certaines langues qui se parlent dans certains coins du monde (parfois n’ayant pas de système orthographique, étant en général peu décrites par les linguistes) sont parfois appelées, de manière péjorative, des « dialectes », comme s’ils n’avaient pas le droit d’être considérées au même rang que les autres langues. Le phénomène qu’on appelle l’« idéologie du standard » est y pour beaucoup dans cette affaire, comme quoi une langue c’est aussi un ensemble de valeurs, c’est l’aboutissement d’un processus de standardisation impliquant différents éléments (fonctions sociales importantes et variées, codification des formes et règles, apparition de l’écrit, etc.).
Pour répondre à la question qu’on entend parfois, à savoir combien de langues il existe dans le monde, la bonne réponse est qu’on ne sait pas, et que tout dépend de notre approche, de la manière dont on découpe la réalité linguistique sur le terrain, tout en sachant en même temps que les langues évoluent, certaines disparaissent, d’autres « se fragmentent » pour devenir des variétés distinctes (on parle aujourd’hui « des anglais », par exemple).
Pour aller plus loin, lire cet article.
Sur l’histoire du français, voir ce site.