“A text is a unit of language in use. It is not a grammatical unit […] and it is not defined by its size. A text is regarded as a semantic unit: a unit not of form but of meaning.”
“A text is a passage of discourse which is […] coherent with respect to the context of situation, and therefore consistent in register; and it is coherent with respect to itself, and therefore cohesive.”
(Halliday & Hasan 1976)
Ce n’est pas facile d’écrire une suite de phrases qui ne soit pas un texte. Je veux dire par là qu’il faut réfléchir pour le faire, et que cela ne vient pas naturellement disons. Au-delà des procédés linguistiques qui permettent de relier les différents éléments (par exemple, la simple reprise d’un substantif par un pronom), il existe tout un système de connaissances et de contraintes qui font que les phrases, ainsi que les idées ou concepts qu’elles véhiculent, se renvoient les unes aux autres, se suivent, se complètent dans une logique parfois évidente aux yeux de tous, mais parfois aussi implicite ou même en jouant avec les règles, en repoussant les limites...
Sans passer par l’étude préalable de la textualité, les étudiants du Master ont travaillé « spontanément » sur la « textualisation » d’une série de phrases non seulement improbables, mais aussi très pauvres sur le plan textuel :
Le cheval est gros. Le cheval clignote. Le cheval rouge vole.
Face à la simple question « Est-ce un texte ? », une seule réponse, claire et unanime n'était pas envisageable : « c’est peut-être un texte (mais on a des doutes...), et en tout cas, ce n’est pas un très bon texte ». OK, réécrivez-le donc ! Faites mieux ! Chiche ! Certains étudiants se sont révélés plus productifs que d’autres, plus créatifs, mais tous ont été attirés par un même objectif, sans qu'il soit donné explicitement : il faut que le tout se lise comme un tout, il faut que cela fasse sens.
On pourrait dire beaucoup de choses sur les textes produits par les étudiants (dont on peut lire un florilège plus bas). D’ailleurs, l’exercice aurait pu être plus complexe, voire même plus technique ; il aurait pu déboucher sur des réécritures à la manière de Queneau dans ses exercices de style. Contentons-nous ici de retenir quelques points communs qui semblent résumer cette quête de textualité. Tout d’abord, il y un travail de fond sur le sens, et les auteurs s’appuient sur leur connaissance du monde, de ses possibilités, de ses limites : le cheval est dessiné par un enfant, ce qui explique ses attributs ; il devient statue ou est teinté de sang pour pouvoir être rouge ; il est suspendu au-dessus du lit sous forme de mobile pour pouvoir clignoter, etc. Le rêve et la magie font leur apparition pour rendre l’improbable plus acceptable aux yeux du lecteur. L’enfance est souvent évoquée ainsi que les contes et les animaux de fiction ou de légende. Quant à la cohésion, on ne doute jamais qu’il s’agit d’un seul et même cheval (ce qui n’est pas clair dans la série originale où il peut s’agir de trois chevaux différents). Prenons comme exemple le tout premier texte, très simple : « un cheval » > « ce cheval » > « il ».
Certes, on pourrait changer ces nouveaux textes, les améliorer, les bichonner, les adapter à des publics spécifiques, etc. On pourrait également se pencher sur le statut des auteurs (natif / non natif) ou sur le niveau de maîtrise de la langue. Mais dans tous les cas, on constate que les étudiants cherchent à textualiser, quels que soient leurs choix personnels ou stylistiques, sans quoi ils risquent tout simplement de ne pas être compris.
Mon grand-père m’a raconté un conte sur un cheval magique quand j’étais petite. Ce cheval était rouge et gros, il pouvait clignoter et voler... (Pei)
Le cheval qui courait dans les champs était gros. Et quand je m’en suis approchée, il a commencé à clignoter ses yeux. De retour de ma promenade, je me suis endormie profondément et j’ai fait un rêve bizarre où le cheval rouge volait. (Darya)
Je regarde les dessins de mon fils qui aime dessiner un cheval. Sur le premier, le cheval est gros. Sur le deuxième, le cheval clignote. Sur le troisième, le cheval rouge vole... (Olessya)
J’imagine que j’aurai un cheval quand je grandirai. Mon cheval est gros parce qu’il adore manger des tas de chocolat. Mon cheval clignote parce qu’il a une belle voix. Mon cheval sait voler parce qu’il a de la magie. (Shige)
Un jour, je me suis promené à côté de la rivière et je suis allée dans une forêt. Tout à coup, j’ai vu un gros cheval qui était en train de clignoter ! J’étais très étonnée et j’ai fixé mes yeux sur lui ! Et puis, il a poussé des ailes et il est devenu rouge ! À la fin, il a volé de plus en plus haut jusqu’à ce que je ne le voie plus ! (Menyang)
Il était une fois un gros cheval rouge qui clignotait dans la nuit noire. Cet étonnant animal rêvait de voler à travers le ciel étoilé comme Rudolph le renne au nez rouge. Lui aussi voulait travailler pour ce cher père Noël afin de rendre heureux tous les enfants le matin de Noël. (Nathalie)
Étrange fut mon rêve, je me suis vu monter un gros cheval. Il faut dire qu’il était unique dans son genre. En le chevauchant, tous les passants se retournaient, à la fois attirés par sa couleur rouge, qui clignotait de loin, et par sa rapidité. Murmurant à son oreille, il déplia ses ails et s’envola sous le vent. C’était magique. (Hassiba)
La première chose qui me frappa dans cette statue équestre fut sa taille. Elle était particulièrement développée, grande et grosse dans ses proportions. En cette soirée de Noël, les illuminations de la ville donnaient en plus l’impression que cet animal scintillait au rythme des clignotements des ampoules de couleur. Nous finissions ainsi avec l’image d’un cheval massif et majestueux, teinté de rouge, prenant son envol dans le crépuscule. (Nicolas)
Depuis des siècles les chevaux participent aux guerres des hommes sans que ces derniers ne demandent leur avis. Durant l’une d’entre elles, en Angleterre, un cheval changea à tout jamais la vision des hommes au sujet des siens, mais pas comme il l’entendait. Il était pacifiste et depuis petit, appréhendait le moment où il s’en irait se battre.
Le jour de sa première bataille, il tira fort sur son harnais mais rien à faire il était obligé de rester. A la vue des chevaux rouges de sang il comprit que sa place était loin d’être ici et se mit à réfléchir sur la manière dont il arriverait à faire comprendre aux hommes son refus de combattre.
Le lendemain, quand son cavalier s’approcha de lui pour le monter, le cheval le regarda et tenta de communiquer en clignant des yeux. Le cavalier, stupéfait, ne comprenait pas ce que le cheval cherchait à exprimer mais compris qu’il tentait d’exprimer quelque chose. Malgré cela, il continua à se servir du cheval pour se battre.
Les jours suivants, l’expérience vécue par l’homme fit le tour du camp et le cheval pris petit à petit le surnom de « cheval qui clignote ».
Le mois suivant, la guerre était finie et la bataille gagnée pour ce camp. Le cheval était mort quelques jours plus tôt et tous pensaient qu’il avait porté chance. Une légende était alors née et durant l’année de nombreux dessins de gros chevaux furent faits dans les collines où les batailles avaient eu lieux. (Alice) (le cheval d’Uffington)
Je plane dans une salle sans toit ni plancher, sans fenêtre et pourtant lumineuse. Mon corps se met en mouvement tout seul et, au fur et à mesure que j’avance, des myriades de portes apparaissent autour de moi. Toutes ces portes sont différentes. Différentes en taille, en couleur, en forme. Je m’approche de l’une d’elle en particulier, sans savoir pourquoi. Je colle mon oreille à cette porte pour tenter de savoir ce qui se trouve derrière. J’entends un bruit, d’abord doux et lointain, puis de plus en plus définissable. Des bruits de sabots. La porte s’ouvre alors et je me retrouve dans une immense plaine nue, de celle que l’on peut voir en Mongolie ou dans le nord de la Chine. Une ombre engloutit soudain toute la lumière autour de moi, je lève les yeux pour en chercher l’origine. Un cheval est dressé au-dessus de moi ; ce cheval est énorme, si gros que je n’en aperçois pas la tête. Ses pattes sont gigantesques, et son torse d’une largeur démesurée. Je prends peur et me mets à courir à la recherche de la porte qui m’a amenée jusqu’ici, mais elle a disparue. Derrière moi le cheval hennit et je sais qu’il est entré dans un galop endiablé quand je sens le sol trembler dangereusement sous mes pieds. Je continue à courir toujours plus vite mais le paysage ne me suit plus, tout s’est arrêté de bouger autour de moi. Tout sauf le cheval. Je sens qu’il se rapproche aux vibrations dans le sol qui n’en finissent pas de s’intensifier. Alors, dans un effort désespéré je saute dans l’air. C’est alors que je m’envole, je cours d’un pas léger dans le ciel pensant que je suis sauvée. Je me retourne pour regarder de loin ce cheval infernal et ce que je vois me glace le sang. Le cheval dont je survole alors la tête se teinte petit à petit d’une effroyable couleur rouge sang ; d’abord les yeux, puis la crinière, et enfin le pelage entier. Puis, dans un hennissement terrible il décolle ses larges sabots du sol et se met à voler à ma poursuite. Dans ma course effrénée pour lui échapper je scrute désespérément le ciel à la recherche de la porte qui me permettrait de m’échapper de cet enfer. Tout à coup, mon pied heurte quelque chose, je tombe, le temps que je me relève le cheval m’a rattrapée, il se cabre, ses pattes atterrissent tout près de mon visage, je ne peux plus bouger, il approche sa gueule de moi, je sens sa respiration, je plonge mon regard dans le sien, je hurle. Tout à coup, d’autres cris se mêlent aux miens. Ceux d’une femme. Elle crie mon nom. Où suis-je ? J’ouvre les yeux ; ma mère se tient au bord de mon berceau, affolée. Cinq petits chevaux clignotent en musique sur le mobile au-dessus de moi. (Audrey)