27 novembre 2024 à l'Université de Perpignan Via Domitia
Cette journée, née d’échanges avec deux collègues de l’Université de médecine et de pharmacie de Cluj-Napoca en Roumanie, prendra la forme d’un « hackathon » ayant pour but[1] de réunir trois champs de réflexion et de recherche : didactique sur objectif spécifique ; interactions ; compétence plurilingue. Plus concrètement, il s’agit de réfléchir ensemble à différents actes, à différents supports, à différentes activités, dans la formation linguistique des médecins, qu’ils soient francophones devant étudier en Roumanie, ou qu’ils soient Roumains devant exercer en France ; qu’ils soient en situation professionnelle ou non. Il s’agit de réunir trois champs qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer afin de mener de front une réflexion commune sur l’apport de chacun de ces champs.
La question centrale est celle de la formation : que proposer aux étudiants et aux médecins sur le plan linguistique et/ou méthodologique afin de leur permettre de mieux s’en sortir dans leurs études, sur le terrain ? Il s’agit en outre d’interroger la place de la langue française, non seulement à travers des domaines d’applications spécifiques, mais aussi au contact d’autres langues. La notion de « compétence plurilingue » (Coste et al., 2009) occupe une place importance dans cette réflexion dans la mesure où elle met en avant la rencontre inévitable entre les langues à l’échelle de l’individu[2]. Au fond, comme l’a montré le linguiste roumain Eugenio Coseriu (1980), à travers le concept de « savoir élocutionnel », l’individu qui appréhende une nouvelle langue ne vient pas vierge de tout savoir sur le fonctionnement de celle-ci car il a nécessairement des connaissances sur le langage (en général) développées dans sa ou ses langues (cf. Shaw, 1992), ainsi que dans l’apprentissage de celles-ci. Concrètement, il s’agit de profiter des connaissances existantes pour faire avancer l’apprentissage de toute nouvelle langue, qu’il s’agisse de formuler des hypothèses quant au fonctionnement linguistique ou sociolinguistique de celle-ci, ou qu’il s’agisse d’établir des correspondances ou similarités formant autant de passerelles entre les langues.
La prise en compte à la fois du capital linguistique de l’individu, mais aussi de la richesse inhérente à tout groupe d’apprenants en termes d’origines, de cultures et de langues a donné lieu à différentes initiatives en termes d’enseignement, telle que l’« éveil aux langues » notamment sous l’impulsion d’Eric Hawkins dans les années 1970-80 (Hawkins, 1984), mais aussi l’« approche plurielle » (Candelier, 2008), l’approche « intégrée » (Candelier et al., 2023), l’approche basée sur « l’intercompréhension » (Blanche-Benveniste & Valli, 1997 ; Escudé, 2014 : Escudé & Janin, 2010), ou l’approche « comparative », développée par Nathalie Auger pour les EANA[3]. Ces différentes approches ont en commun de vouloir profiter de ce que les apprenants, à l’aide d’un guidage spécifique, arrivent à confronter les langues présentes dans leur entourage et à réfléchir à leur fonctionnement, le tout en lien avec la réussite scolaire. Si le développement de la métacognition en lien avec l’apprentissage (c’est-à-dire la capacité à apprécier, à juger, à réfléchir sur son propre apprentissage) semble être une compétence intéressante et souhaitable dans de tels contextes (cf. Hawkins, 1984[4]), il paraît toutefois difficile de transposer entièrement ce qui reste au fond un projet éducatif à tous les contextes d’enseignement de la langue, notamment dans le cadre des formations sur objectif spécifique. Justement le propre des formations sur objectif spécifique est d’aller à l’essentiel, de faire avancer les apprenants très vite sur certaines compétences ciblées, en mettant l’accent autant sur les aspects techniques ou stratégiques que langagiers.
La notion de « langue d’appui » a été développée pour essayer de comprendre en quoi les connaissances existantes dans une langue donnée, quelle qu’elle soit, permettent d’accéder à une langue autre, et ce d’un point de vue purement stratégique, pour aller plus vite. Dans l’étude de Bailly et al. (2009) il est question pour des locuteurs sinophones de s’appuyer sur leurs connaissances en anglais pour mieux comprendre le français, par exemple. Car n’oublions pas que, pour le sinophone, l’anglais et le français sont proches, surtout sur le plan lexical et orthographique, et surtout dans le registre formel de l’écrit où le taux de formes d’origine française et/ou savante est plus élevé.
Pour ce qui est de la prise en compte conceptuelle de l’individu par rapport à ses langues, la notion d’« identité plurilingue », que Cots et al. (2021) considèrent comme étant l’identité de l’individu telle qu’elle se manifeste à travers les différentes langues que celui-ci est amené à utiliser, quel que soit le niveau de maîtrise dans chacune des langues, nous invite à reconsidérer l’espace conceptuel et le découpage des langues dans le répertoire verbal (même passif) de l’individu. Cette démarche, qui tend à légitimer tous les usages possibles dans toutes les langues, même celles qu’on maîtrise peu ou mal, fait ainsi une place à des pratiques de maîtrise « partielle » des langues, faisant ainsi entrer dans la réflexion sur la francophonie appliquée à l’individu le recours à d’autres langues qui entrent nécessairement en résonance avec le français, enrichissant sa palette communicationnelle mais aussi la prise en compte de l’autre dans la communication. Les enjeux sont considérables, touchant différentes considérations à la fois didactiques (en ingénierie de la formation – cf. Mangiante & Parpette, 2023), linguistiques (et inter-linguistiques), et sociolinguistiques (situations, interactions, stratégies et comportements…).
Rendez-vous le 27 au matin pour découvrir la mission qui vous attend ! Programme à télécharger (voir en bas de l'article).
Bailly, S, Boulton, A. Château, A., Duda, R. & Tyne, H. (2009). L’anglais langue d’appui pour l’apprentissage du français langue étrangère. Dans G. Forlot (Dir.), Le français et l’anglais en contact dans les situations d’apprentissage : perspectives sociolinguistiques et didactiques (pp. 35–57). L’Harmattan.
Blanche-Benveniste, C. & Valli, A. (Dir.) (1997). L’intercompréhension : le cas des langues romanes. Le français dans le monde, numéro spécial.
Candelier,M. (2008). Approches plurielles, didactiques du plurilinguisme : le même et l’autre. Les cahiers de l’ACEDLE, 5, 65–90.
Candelier, M. & Manno, G. & Escudé, P. (Dir.) (2023). La didactique intégrée des langues. Apprendre une langue avec d’autres langues. ADEB. http://www.adeb-asso.org/portfolio_category/livres/
Coseriu, E. (1980). Textlinguistik: Eine Einführung. Gunter Narr Verlag.
Coste, D., Moore, D. & Zarate, G. (2009[1997]). Plurilingual and pluricultural competence. Council of Europe.
Cots, J. M., Mitchell, R., & Beaven, A. (2021). Structure and agency in the development of plurilingual identities in study abroad. Dans M. Howard (Dir.), Study abroad and the second language learner: Expectations, experiences and development (pp. 165–188). Bloomsbury Academic.
Escudé, P. (2014). De l’intercompréhension comme moteur d’activités en classe. Tréma, 42, 4 –53.
Escudé, P. & Janin, P. (2010). Le point sur l’intercompréhension, clé du plurilinguisme. CLE international.
Hawkins, E. (1984). Awareness of language: an introduction. Cambridge University Press.
Mangiante, J.-M. & Parpette, C. (2023). Le français sur objectif spécifique : ingénierie de formation et conception de programme. Hachette.
Shaw, P. (1992). Variation and universality in communicative competence: Coseriu’s model. TESOL Quarterly, 26(1), 9–25.
[1] Les détails de la mission seront dévoilés le jour J.
[2] « The ability to use languages for the purposes of communication and to take part in intercultural interaction, where a person, viewed as a social actor has proficiency, of varying degrees, in several languages and experience of several cultures ». (Coste et al., 2009, p. 11).
[3] Comparons nos langues : https://www.reseau-canope.fr/BSD/sequence.aspx?bloc=481293
[4] « We are seeking to light fires of curiosity about the central human characteristic of language which will blaze throughout our pupils’ lives. While combating linguistic complacency, we are seeking to arm our pupils against fear of the unknown which breeds prejudice and antagonism. Above all we want to make our pupils’ contacts with language, both their own and that of their neighbours, richer, more interesting, simply more fun ». (Hawkins, 1984, p. 6).
Avec le soutien de la Maison des Francophonies et du laboratoire CRESEM.
Programme à télécharger.