Dans les exposés du 19/03/2013, il était question de traiter de l’enseignement de la grammaire en langue nouvelle selon l’axe implicite/explicite. Dans son commentaire, Maryse revient sur certains aspects des exposés, notamment l’opposition implicite/explicite comme argument pour expliquer (ou non) les acquis plus ou moins réussis chez l’apprenant. Bref, d’après ce qu’elle a entendu, l’approche implicite aurait un effet plus « durable » que l’approche explicite. Elle posait la question de l’application : par exemple, comment et quand « faire » de l’implicite ?
Revenons à présent sur cette opposition entre implicite et explicite. Tout d’abord, en ce qui concerne l’acquisition de la langue première ou maternelle, celle-ci est largement implicite : l’enfant sait une quantité de règles implicitement, c’est-à-dire qu’il est capable de produire des énoncés corrects parce que sa grammaire fonctionne sans qu’il ait besoin de réfléchir aux règles (qu’il ne sait nommer). D’ailleurs, les enfants produisent souvent des erreurs justement parce que leur grammaire est un peu trop régulière (on pense par exemple aux formes du passé simple qu’emploient les enfants lorsqu’ils jouent ou inventent des histoires). L’explicite (dans le système français, nous l’avons dit) arrive plus tard, notamment lors de l’entrée dans l’écrit : l’enfant sait parler, maîtrise le système grammatical de sa langue mais a besoin d’apprendre des règles lui permettant d’écrire correctement. C’est à ce moment-là que l’enfant entre dans l’apprentissage largement explicite : en CE1 il apprend à identifier les verbes, les groupes nominaux (d’ailleurs, il apprend aussi la métalangue qui lui permet de les décrire) et il apprend des règles, des listes de terminaisons, etc. C’est ainsi que le petit Français apprend à connaitre explicitement sa langue. Plus tard, l’entrée dans les langues vivantes profitera en large partie de cette connaissance explicite ainsi que des outils métalinguistiques qui lui sont associés.
Qu’en est-il de l’acquisition d’une langue seconde ? Pour Schmidt, travaillant sur la manière dont l’input en langue seconde devient intake, c’est-à-dire la manière dont l’apprenant arrive à fixer en quelque sorte les éléments de la langue en cours d’acquisition, l’approche purement implicite ou « subliminale » est problématique (il faut voir ici une critique du behaviourisme). Pour lui, la prise de conscience des éléments en cours d’acquisition est importante (cliquer ici pour lire son article de 1990). En réalité l'acquisition profite sans doute des deux approches et l'explicite permet surtout à un apprenant de « mettre de l'ordre » dans le système à un moment donné. Mais il faut distinguer entre l’acquisition par l’enfant et par l’adulte : l’enfant est sans doute plus enclin à une approche située, non explicitée de la langue ; on ne lui demande pas de réfléchir tout de suite aux règles. L’adulte, en revanche, qui a l’habitude de devoir gérer des règles, de digérer des « modes d’emploi », sera sans doute plus à même d’entrer dans la langue seconde par une approche plus explicite. Il faut aussi distinguer entre acquisition du système de la langue et apprentissage des règles permettant d’écrire celle-ci.
Par ailleurs, dans les exposés du 19/03/2013 on a eu l’impression qu’implicite et inductif étaient des synonymes et qu’explicite impliquait forcément le bagage métalinguistique classique. Or, ces rapprochements n’ont pas toujours lieu d’être. Premièrement, un apprenant peut chercher à induire des règles tout en sachant que ces mêmes règles vont pouvoir (ou non) se formaliser ou simplement prendre un nom savant plus tard. Deuxièmement, une approche explicite peut très bien s’occuper de l’explication des règles (par exemple sur données attestées) sans passer par la lourdeur de la grammaire scolaire. Justement, comme nous l’avons dit en cours, il y a des pays et des cultures où la grammaire explicite de la langue première n’est pas ou plus à l’ordre du jour ; il serait en effet problématique de vouloir travailler la grammaire explicite fortement métalinguistique en cours de FLE auprès d’apprenants issus de ces pays car ils n’ont pas eu à développer un regard analytique sur leur propre langue et n’ont donc pas l’habitude des exercices grammaticaux « classiques ». Mais cela ne les empêche pas d’acquérir la langue en question et cela n’empêche pas non plus de faire avec eux de la grammaire explicite. La question importante est la suivante : étant donné le public, son niveau, le type de tâche, quel est le meilleur moyen de travailler tel ou tel élément (en rapport avec le programme ou référentiel) ?
Des recherches récentes sur l’opposition entre induction et déduction ont montré qu’une approche inductive semble favoriser une acquisition plus « durable » en langue seconde : si l’apprenant construit lui-même ses règles à partir de l’observation et la manipulation des données, il sera plus à même de les retenir que s’il les a apprises de manière plus « classique » (voir par exemple l’application du « data-driven learning » en didactique des langues – voir l’article du 02/04/2012). Mais d'autres chercheurs ont critiqué l'approche inductive, arguant par example que pour apprendre à jouer aux échecs, il vaut mieux expliquer les règles que de laisser l'appreant se débrouiller tout seul. L'autonomisation de l'apprenant, c'est-à-dire le fait que l'apprenant puisse en quelque sorte prendre en main son propre apprentissage, est souvent évoquée pour résoudre ce genre de problème: se débrouiller tout seul n'est pas un problème quand l'apprenant sait comment s'armer des bons réflexes pour trouver seul les réponses (observer, recourir à un manuel, demander à quelqu'un, se lancer en se trompant, etc.).
Le tout est donc de savoir ce qu’on fait avec les apprenants et pourquoi. Une approche explicite permet d’aller à l’essentiel pour un public de jeunes adultes capables de comprendre l’utilité des règles, comme le soulignait Léonie, mais les classes de FLE ne sont pas toujours faites d’apprenants de ce type. Par ailleurs, connaître les règles n’est pas les utiliser à bon escient et les témoignages d’apprenants « bons grammairiens » mais mauvais communicants en langue seconde sont légion…