Apprendre à compter, c’est un des chantiers classiques de la petite enfance : l'enfant entend compter ses parents, ses frères et sœurs, etc. D’ailleurs, on compte assez volontiers avec les enfants dès leur plus jeune âge : en rangeant les crayons dans la trousse, en construisant une tour avec des briques en bois, etc. Mais comment l’enfant apprend-il à compter vraiment ? Comment vient cette suite de sons si familière, si importante ?
Assez tôt, au tout début de l’acquisition du langage, l’enfant copie : on dit les mêmes choses, on les répète, il finit par comprendre que ça nous fait plaisir qu’il les répète après nous (chat, dodo, mamie, etc.). Vient l’âge où on se rend compte que l’enfant répète beaucoup, et pas toujours des mots qu’on a bien ciblés pour qu’il les apprenne (il entend des sons dans une conversation entre adultes qu’il décide de répéter par exemple). Et les chiffres ?
Je prends l’exemple de ma fille, qui a 22 mois. Elle compte depuis un petit moment maintenant. Quand je dis qu’elle compte, je veux dire par là qu’elle reconnaît l’acte de compter (qu’elle associe à des moments précis : compter le nombre de boutons sur le pyjama par exemple), et elle « connaît » les chiffres jusqu’à six. Elle a commencé à compter en répétant. Ça a l’air tellement simple. Sauf que ce n’est pas si simple que ça. Premièrement, elle n’a jamais dit « one » (elle compte en anglais avec moi) ; elle a commencé à partir de « two ». Autrement dit, dans un premier temps elle entendait « one two » et ne répétait que la dernière syllabe « two ». Ensuite vient la phase anticipative, c’est-à-dire qu’elle connaît la suite des sons et elle fournit la partie qui vient après : on dit « one », elle dit « two ». Sauf qu’un jour elle fait les choses autrement : on dit « one », elle dit « three ». Pourquoi ? A-t-elle oublié subitement la suite « one two » ? Ce serait étrange. Fait-elle de la sur-anticipation ? Peut-être. Ou bien c’est parce qu’avant, quand elle disait « two » (en réponse à notre « one ») on enchaînait tout de suite avec « three », de manière à ce qu’elle finisse par comprendre qu'il s'agissait d'une sorte de correction : on dit « one », elle dit « two », on corrige en « three ». Car en effet quand un enfant manipule pour la première fois d’autres mots (papa, chat, etc.) on passe beaucoup de temps à les répéter avec et après lui pour « renforcer » en quelque sorte la mise en place de ces mots. Mais voilà que le fait de compter nous pousse à faire autrement : on ne répète plus le mot que dit l’enfant, on cherche immédiatement à enchaîner, à donner la suite comme si le fait d’aller plus loin était tellement important (genre « ah oui, ma fille, vous savez, elle n'a que 22 mois mais elle sait déjà compter jusqu'à 367 »). C’est étrange mais quand ma fille a dit pour la première fois « cat » je n’ai pas cherché immédiatement à enchaîner avec « dog », par exemple. Vous imaginez, si j’avais fait ça elle aurait peut-être fini par appeler un chat un chien…