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« Pour la plupart des noms, le genre est arbitraire. Ce n’est que pour une partie des noms animés qu’il y a un lien entre le genre et le sexe de l’être désigné ; c’est ce que certains appellent le genre naturel. » (Le bon usage, §457)

En français le genre (masculin/féminin) n’a souvent rien à voir avec le sexe étant donné le lien arbitraire entre le choix du genre et les éléments désignés. Ainsi, si on dit « une table », ce n’est évidemment pas parce que les tables sont des filles ; et si on dit « le placard », ce n’est pas parce que les placards sont des garçons. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et au-delà de pseudo-motivations que l’on établit parfois entre le choix du genre des formes jugées particulièrement « féminines » ou particulièrement « masculines », il reste la catégorie des noms animés qui prennent le genre dit « naturel » (avec des exceptions bien sûr, notamment dans des cas d’emplois métonymiques, par exemple).

Pour ce qui relève de l’acquisition du langage, on constate que chez l’enfant qui grandit dans la langue, ayant pour L1 le français, il n’y a que très rarement des erreurs de genre au-delà d’un certain âge. Pour l’apprenant L2, il peut y avoir beaucoup d’erreurs, tout au long du parcours d’acquisition et même à des stades très avancés (on évoque parfois le dépassement de l’âge critique pour l’acquisition naturelle de ce phénomène). Et dans les deux cas lorsqu'il y a erreur c'est souvent la forme masculine non marquée qui s'impose par défaut, surtout en ce qui concerne l'accord des adjectifs.

Mais qu’en est-il concrètement de la mise en place de l’opposition masculin/féminin chez l’enfant ? Par là je veux dire qu'en dehors de la question de l’acquisition du genre sur le plan strictement grammatical (par exemple le fait de faire précéder un nom par le bon déterminant ou le fait de lui assigner un épithète accordé), qui a déjà été très largement étudiée (en L1 comme en L2 ou pour des bilingues), je souhaite m’intéresser à la gestion du genre naturel où il y aurait une correspondance entre le choix du genre et le sexe des noms animés. A partir de quand note-t-on véritablement la différence sexuée et à partir de quand lui associe-t-on un genre (en dehors des désignations morphologiquement non marquées telles que papa, maman, etc. qui arrivent très tôt) ? Je m’y intéresse depuis que ma fille m’a traité de « jolie fille ». Tout d’abord, soyons clairs, je n’étais ni déguisé ni maquillé, et ma barbe n'était pas particulièrement bien taillée ; par ailleurs elle m’a clairement appelé papa et non maman. Je crois tout simplement que pour ma fille le genre féminin est celui qui s’emploie par défaut dans une sorte d’extension à partir de son expérience : son monde à elle s’accorde au féminin, c’est donc le genre qu’elle impose aux autres acteurs (ou actrices plutôt). Et là où mon fils pouvait dire tranquillement que papa était un « joli garçon » ça coince pour ma fille du fait de la différence de sexe. Il en va de même de son doudou (un chien) qui est « elle ». Même problème lors qu’elle joue à la maîtresse : tous les garçons doivent répondre « présente » et non « présent ».

De deux choses l’une, soit ma fille est une féministe avant l’heure, soit la question du genre naturel n’est pas encore résolue du fait d’un langage fortement féminisé dans l’input mais aussi dans ses propres productions (mais uniquement pour les noms animés - elle ne fera jamais d'erreur du type « *la grande placard »). On verra par la suite comment se poursuit la masculinisation de son monde, mais en attendant, je me contenterai de dire que je suis un papa heureuse !

Tag(s) : #Acquisition