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Du loup à la loupe

(Première version de l'article 14 janvier 2016)

Le loup occupe une place importante dans la littérature, et surtout dans la littérature pour enfants. Pourquoi ? D’un point de vue historique, le loup est un animal redouté (mais aussi moqué, totemisé, etc.) par nos ancêtres; il est aussi craint par les bergers, chassé, tué, puis réintroduit dans la nature. Des thèses entières ont été consacrées à l’histoire complexe des relations homme-loup (voir par exemple l'excellent livre de Michel Pastoureau, Le loup : une histoire culturelle ; voir aussi le site Homme et loup). Le loup devient une véritable source de d'inspiration pour écrivains et conteurs : l'animal effraie mais sert aussi à rappeler les dangers du monde (et la sécurité de la maison). Le jeune Mikhaïl Boulgakov raconte dans ses Récits d’un jeune médecin une sortie de nuit où il se fait poursuivre par des loups ; c’est le summum de la peur et de la vulnérabilité de l’homme. Joan Aitken quant à elle imagine une Angleterre envahie par les loups dans son roman Les loups de Willoughby Chase. Mais dans cette histoire les vrais loups ne sont-ils pas plutôt ces affreux personnages qui s’emparent de la maison faisant fuir les deux enfants ? Justement, le loup est très souvent utilisé comme une métaphore : homo homini lupus est.

Mais pour en revenir à la littérature pour enfants, on est frappé par le nombre d’histoires de loups, dont certaines sont bien sûr des classiques connues de tous (par ex. Le petit chaperon rouge, Les trois petits cochons, Pierre et le loup, etc.) se prêtant à bien des interprétations à travers les époques ; d’autres sont des remakes (revus et corrigés) des classiques (par ex. Le plus malin de M. Ramos et la géniale série de G. de Pennart dont Le loup sentimental) ; d’autres exploitent différents thèmes en lien avec les loups, dont notamment celui de la peur, soit de façon directe (par ex. Ouste, les loups ! de K. Bedey et A. Wilsdorf), soit indirectement (par ex. l’énigmatique loup dans Une soupe au caillou d’A. Vaugelade qui fait peur aux animaux mais qui leur permet néanmoins de se réunir autour d'un bon repas ... avant de s'en aller dans la nuit) ; et d’autres encore font du loup un simple protagoniste, un animal plutôt sympathique d’ailleurs, souvent plus sensible qu’on ne l’aurait imaginé (par ex. Le loup qui cherchait une amoureuse d’O. Lallemand et E. Thuillier, Grand loup et petit loup de N. Brun-Cosme et O. Tallec, ou Drôle de cadeau dans le traîneau d'A. Leviel et M. Matje qui voit le loup pleurer parce que personne ne veut de lui, pas même le Père Noël ... jusqu'à ce qu'il l'aide en décoinçant son pied) ou simplement différent des autres loups (par ex. le loup végétarien qui cultive ses propres légumes pour ensuite les partager avec les autres animaux dans Un loup dans le potager de C. Bouiller et Q. Gréban) et au comportement inattendu (par ex. Au loup tordu ! de Pef). Et j’en oublie sûrement : les loups moins loups que les hommes, les loups mal-aimés, etc., sans parler de Cocotte et le loup, en quatrième de couverture de la revue pour 1-3 ans, Popi.

Mais pourquoi le loup et toujours le loup ? Pourquoi pas l’ours, ou le dragon ? Certes, les ours et les dragons sont aussi présents dans la littérature pour enfants et dans le folklore, mais ils n’ont pas la même cote de popularité que le loup. Et pourquoi tant de traits de caractère, allant du méchant loup au loup farfelu, en passant par le loup mignon et le loup sentimental ? Tout d’abord, rappelons qu’il s’agit d’un animal dont l’existence aux côtés des hommes (et des enfants) en France aujourd’hui est essentiellement due à une mise en scène de différents aspects de l’histoire culturelle à travers la littérature. Le rapport particulier que semble entretenir l’homme avec le loup, qui est à la fois ennemi et ami, s’explique en partie par l'évolution des rapports entre l'homme et l'animal mais aussi en partie par le paradoxe même de la nature humaine : l’homme se montre à la fois égoïste et solidaire, prédateur et empathique comme le rappelle Frans De Waal dans son livre L'âge de de l'empathie : leçons de la nature pour une société solidaire. Oui, l’homme est un véritable loup pour l’homme, mais pas nécessairement dans le sens auquel on pense en premier ; et il se joue dans la littérature pour enfants toute une mise en scène des différentes facettes du loup qui sont autant de leçons pour l’humanité.

Et qu’en est-il de la littérature pour enfants dans d’autres langues ? Car si aujourd’hui bon nombre de livres pour enfants en français sont traduits d’autres langues (dont surtout l’anglais) les histoires de loups (outre les classiques) semblent être francophones surtout. Est-ce un trait particulier de la littérature pour enfants en langue française ? Si oui, pourquoi ? Quand on se penche sur l'histoire culturelle du loup en France, on s'aperçoit que la place du loup dans la vie de tous les jours a évolué, passant par des périodes de menaces partielles (le loup est chassé, il se prête alors à des moqueries, le renard lui vole la vedette), mais aussi par des périodes de menaces disons « spirituelles » (le loup est considéré comme un animal démoniaque). C'est surtout à partir de la fin du moyen-âge que le loup commence à devenir une menace directe en France, avec des loups affamés qui viennent dans les villages, qui dévorent le bétail. Les loups ont d'ailleurs perduré en France dans les campagnes jusqu'au dix-neuvième siècle tandis que dans d'autres pays, comme l'Angleterre, par exemple, ils ont été éradiqués bien avant. Qu'en est-il alors de la littérature pour enfants dans les pays où le loup existe encore à l'état sauvage ? (merci de laisser des commentaires en bas de cet article)

Finalement, quand on y pense, le loup est très présent en France, pays qui a quand même connu un nombre important de rois dont le prénom n’était autre que Loup (oui !) et dont le grand musée emblématique s’appelle le Loupvre. Mais cela va plus loin encore, le loup est partout : par exemple, dans des noms de villes (Loupvigny, Loupviers, etc.) ou d’équipes de rugby (le LOUp), et bien sûr dans de nombreux titres de films (Loup, Le pacte des loups, Le dernier loup, mais aussi L'aile loup la cuisse...), et même dans le nom d'une agence de location de matériel (Qui loup tout) ; le loup a aussi gagné les espaces publics (gare au loup). Il y a de nombreux personnages (dont le héros populaire Arsène Loupin), des musiciens (Jacques Loupssier) et autres cinéastes (Claude Leloupch), etc. qui cachent le loup en eux. Et dans l’enseignement du français comme langue étrangère ? Evidemment, c’est le FLOUP !

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