C’est ainsi que j’ai réceptionné un colis pendant les fêtes, en écrivant avec mon doigt sur l’écran du smartphone de La Poste. Le facteur m’informa que c’était au nom du progrès.
C’est curieux mais je cherche depuis à comprendre ce progrès si étrange. Il y a un an je signais encore avec un stylet sur l’écran, mais cette année non, avec l’index seulement. Et voilà : l’homme inventa le doigt pour laisser des traces dans le sable… Sable virtuel certes, mais le doigt, lui, était tout sauf virtuel.
Ceci me fait penser à une récente formation sur TNI (tableau numérique interactif) où le formateur critiquait une installation se servant de stylets pour localiser l’activité de l’utilisateur dans l’espace. En effet, d’autres produits, comprenant un tableau véritablement interactif, permettent d’écrire directement avec le doigt, de déplacer des objets sur l’écran, etc. D’ailleurs, les étudiants qui testaient le TNI à stylet ce jour-là se faisaient tous avoir en essayant instinctivement de reproduire les mêmes gestes que sur leurs smartphones (notamment pour agrandir ou rétrécir ce qu’il y avait à l’écran). Smartphones dont l’utilisation passe par le contact direct des doigts sur l’écran. Mais là encore, j’ai été surpris l’autre jour de découvrir que le « dernier Samsung » d’un ami était muni d’un stylet pour écrire sur l’écran.
Alors, c’est quoi le progrès, les doigts ou les stylets ? Les hommes préhistoriques mangeaient et peignaient avec leurs doigts, on inventa alors des outils et des supports ; les petits enfants à la crèche mangent et font de la peinture avec les doigts, ils apprenant ensuite à manier des objets tels que la cuillère ou le pinceau. Ok, j’avoue que c’est un peu simpliste, mais vous l’aurez compris, le « progrès », tel qu’on le conçoit normalement, c’est avant tout une affaire de technologisation du monde. Sauf que dans ce cas précis ça ne marche pas apparemment : on fait signer avec le doigt. Par ailleurs, certains grands artistes réalisent des toiles extraordinaires avec leurs doigts ; et on m’a informé il y a peu que la tendance actuelle en matière de nourriture à emporter c’est le « finger food » ou nourriture qui se mange avec les doigts. Mais il n’empêche que le « progrès » chez l’enfant reste (entre autres) le fait de manger (seul) avec des couverts et non les doigts. Tout comme le « progrès » dans l’histoire du développement des civilisations passe en général par la « technologisation » de leurs pratiques.
Voilà, ce n’est pas simple. Et j’avoue que je mélange un peu tout, entre le facteur, les peintures rupestres, les enfants, etc. Mais pour en revenir à la question du progrès en termes de technologie au service de la littératie on constate en effet un certain rapprochement (physique) entre l’utilisateur et la machine – on touche, on déplace, on dessine, etc. avec les doigts et non de façon indirecte avec des commandes comme des flèches, par exemple, ou même avec une souris. Mais le geste écrit reste le même : autrement dit, quand le facteur m’a demandé de signer, j’ai écrit comme si je tenais un stylo (même si le résultat n’était pas très beau à voir). Ce n’est donc pas forcément un paradoxe, un retour en arrière, un pas vers la dé-technologisation ; c’est en fait la simplification d’une pratique qui repose sur des outils et des supports un peu démodés ou en tout cas mal adaptés à la situation. La Finlande a récemment décidé de ne plus apprendre l’écriture cursive aux enfants, mais de se concentrer sur la littératie numérique, en privilégiant la dactylographie. Il n’y aurait donc pas de place pour des technologies permettant de retrouver les « sensations primitives » via l’écriture numérique (voir par exemple en cliquant ici) dans une telle réflexion ? Mais les sensations vraiment primitives ne sont-elles pas plutôt celles qui viennent avant l’invention de l’écrit : toucher, palper, gratter, etc. ?
Je verrai l’an prochain ce que le facteur me propose, un clavier peut-être ? Sauf que les signatures posent problème justement parce qu’on les reconnaît à l’aspect personnalisé de la forme graphique. Peut-être qu’il me demandera simplement de toucher, palper ou gratter son smartphone. Mais ça m’étonnerait. Ou bien peut-être qu’il viendra avec une plume d’oie et une bouteille d’encre, on ne sait jamais… Une petite signature avec la d'oie?
PS. Sur l'écran tactile de mon téléphone portable, le symbole pour rédiger un Tweet est tout naturellement ... une plume!