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C’est ainsi que Blaze (Yves Montand) apprend à bien parler dans le film La folie des grandeurs (voir le fameux « il est l’or » en cliquant ici). J’ai l’impression que chaque fois qu’on aborde la question de la description de la langue cela pose problème, et j’entends régulièrement ce genre de question : « pourquoi passer son temps à observer une langue qui contient des fautes ? » On a déjà évoqué la question des « fautes » dans ce blog (voir l’article « C’est la faute à », 22/03/2012). N’oublions pas que ce que l’on appelle communément « faute » peut en réalité être un ensemble de choses très différentes. Et il s’agit souvent de « fautes » par rapport à la norme prescriptive (ce qu’on pense devoir dire/écrire/entendre) et non de « fautes » franchement grammaticales (par ex. « tu allez bien ? » au lieu de « tu vas bien ? »), pragmatiques ou culturelles (par ex. ne pas serrer la main à quelqu’un). D’ailleurs, on parle plutôt d’erreur.

Donc lorsqu’un étudiant me dit qu’il faut enseigner « allez chez le coiffeur » et non « aller au coiffeur », je réponds par un simple « pourquoi ? ». Pour Danièle Leeman-Bouix, dans son livre Les fautes de français existent-elles ? l’opposition « aller + au/chez » n’est pas une simple affaire de faute ou pas faute ; même la règle en « chez + personne » et « à/au + chose » ne semble pas marcher (on va en effet chez Volkswagen et on va à Lurçat [lycée]). Par ailleurs, la question que l’on poserait à quelqu’un allant chez le coiffeur (vous voyez, je le dis bien) est : « Quand c’est que tu y vas [chez le coiffeur] ? »… Bref, c’est assez compliqué tout ça.

Si on regarde les cooccurrences de la forme coiffeur dans les données attestées, on découvre que chez est en tête de liste pour le corpus Wortschatz (tous corpus confondus). Quant aux voisins significatifs à gauche, au (comme dans « aller au coiffeur ») est bien loin à la 18e place. Tiens, voilà un argument. De même dans le corpus Internet de Leeds, au n’arrive pas en tête de liste pour le contexte gauche immédiat (9e place), tandis que chez arrive en tête de liste pour le contexte gauche élargi (chez-X-coiffeur). Tiens voilà un autre argument. Mais en dehors de ces résultats qui confirment l’utilisation plus importante de la « bonne » forme, qu’en est-il de la communication ? Autrement dit, comment exprime-t-on réellement son désir de se rendre dans un salon de coiffure ? Et si ça se passait ainsi :

- Il faudrait que tu te fasses couper les cheveux

- Ouais je sais mais j’ai pas le temps

Ici c’est le « ouais je sais… » qui exprime ce « désir ». Ou bien ainsi :

- J’ai besoin de me faire couper les cheveux

Mais on peut aussi imaginer :

- J’ai besoin d’aller chez le coiffeur

Voilà, tout ça pour dire que ce serait intéressant de partir d’observations sur corpus pour voir comment disent les gens. Ce serait normal dans une approche communicative de partir des situations authentiques et non des préférences purement prescriptives (cf. les choix de mise en place du corpus LANCOM pour l'enseignement du français en Flandre - voir cet article). Certes, quand on écrit « un jour un fleuriste se rendit chez le coiffeur... », c’est normal, c’est de l’écrit, c’est une phrase plus ou moins figée (cf. la fable dite du coiffeur ou du bénévole). Mais quand on parle, quand on évoque la question d’aller chez le coiffeur, comment dit-on ? Et si cette opposition « aller chez le/au coiffeur » n’avait tout simplement pas lieu d’exister ?

Cette réflexion me rappelle l’observation d’une étudiante quant au fait de « pratiquer un sport » (forme qu’elle avait apprise à l’école) : elle venait de lire un article d’Angela Chambers (voir Chambers 2009), notamment le passage suivant (p. 23) :

Les apprenants de FLE apprennent à employer deux prépositions différentes avec jouer en parlant des sports et des instruments de musique, et à employer faire pour parler d’activités comme la natation, la pêche, etc. A écouter les jeunes dans ce corpus*, on se rend compte aussi qu’une variété d’expressions est employée, surtout avec le verbe faire, pour parler des sports, des instruments, et des loisirs […] Pour un francophone ces exemples n’ont rien de particulièrement intéressant. Mais pour un professeur de FLE, francophone ou locuteur non natif, la disponibilité de textes où des jeunes parlent de leurs sports préférés permet de créer un environnement beaucoup plus authentique.

Certes on trouve le verbe pratiquer dans les extraits que présente Chambers, mais on trouve également (et surtout) faire. Il faudrait, en dehors de ces observations à la louche, voir quelles sont les situations qui préfèrent pratiquer (par ex. dans un formulaire comme « Quels sports pratiquez-vous ? » ou dans un titre du style « Quels sports pratiquer pour perdre du ventre ? ») et quelles sont les situations qui prennent plutôt faire (quels sports d’ailleurs). Juste pour info, dans le corpus Internet de Leeds, faire est plus employé dans le contexte gauche élargi de sport que pratiquer. Et dans le corpus Wortschatz, pratiquer est un voisin significatif de sport mais pas faire... Affaire à suivre.

PS. Personnellement c’est une coiffeuse qui me coupe mes cheveux et c’est elle qui se déplace.

*Il s’agit du corpus SACODEYL.

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